Décoration et design
Corinne Cécilia rencontre Ute Wolff, artiste et designer textile
Publié le 29 novembre 2017
Originaire d’Erfurt, en Allemagne, et bien établie au Québec, Ute Wolff se distingue par un style à la fois original et universel, expressif et mystérieux. Voyez ses luminaires surprenants, qu’elle appelle des « bijoux d’espaces » : à eux seuls, ils créent une ambiance, ajoutant une dimension esthétique au décor. Le parcours de la créatrice est impressionnant et, pourtant, elle a cette humilité qui, selon moi, caractérise les artistes authentiques : de recherches en réflexions, elle intériorise un savoir-faire ancien et crée un nouveau monde. Puis, dans son univers, elle nous invite à flâner. Indifférente au diktat des tendances, adepte d’un retour à la qualité et d’un certain « droit à la lenteur », Ute Wolff crée des œuvres d’expression et des objets utilitaires — deux mondes qui se nourrissent mutuellement, pour notre plus grand plaisir.
Corinne Cécilia : Quand avez-vous commencé à faire du design textile et qu’est-ce qui a déclenché cette passion chez vous ?
Ute Wolff : J’ai toujours été attirée par les métiers artisanaux, artistiques au départ. Ce n’était pas un amour conscient envers le textile nécessairement, plutôt vers un acte créatif — créer quelque chose avec mes mains. Mais en y réfléchissant, je suis originaire d’Allemagne de l’Est et, comme on ne trouvait pas toujours ce qu’on voulait dans les magasins, on pensait à recycler, à réutiliser ce qu’on possédait, ou à fabriquer nous-mêmes. J’avais le bon exemple de ma mère sous les yeux : je ne l’ai jamais vue assise devant la télévision à ne rien faire ; elle avait toujours un tricot dans les mains, ou elle cousait… Bref, c’était une femme très manuelle.
CC : C’est aussi une question de personnalité…
UW : Je pense qu’à la base je suis une personne très sensible, qui a un sens haptique très important : j’aime toucher les matières, je suis attirée par les couleurs. Et je ne suis pas très, très forte dans la troisième dimension. L’architecture m’intéresse beaucoup aussi, mais ce n’est pas mon fort. J’aimais aller dans le microscopique… En textile, on compose une étoffe avec du fil — il est rond, il a une forme et, quand on le tisse ou le tricote, c’est une structure tridimensionnelle —, donc c’est un bon compromis, disons. Moi, ce qui m’anime vraiment dans mon travail, c’est la manipulation des matières, la transformation des matières, l’agencement des matières, et le jeu avec la lumière, les couleurs.
CC : Vos créations textiles comprennent un grand nombre de luminaires, mais aussi des objets du quotidien. Comment choisissez-vous un sujet sur lequel travailler ?
UW : Comme designer textile, on a souvent deux options : on peut entrer dans le secteur de la mode, donc créer des étoffes que les designers de mode vont utiliser pour créer leurs vêtements, ou dans celui de l’architecture d’intérieur, donc habiller des espaces. Moi, c’est ce côté-là qui m’a toujours plus inspirée. J’aime beaucoup être spectatrice des défilés de mode, je trouve que c’est un art sculptural très beau. Mais je n’aime pas l’aspect éphémère des modes et le fait qu’on nous fasse croire qu’il faut changer pour être « up-to-date ». J’aime mieux une approche de longévité, donner le temps, qu’on puisse entrer en communication avec les objets qui nous entourent. Ce ne sont aucunement des luminaires au premier sens, je les nomme des bijoux d’espaces ou des bijoux muraux.
CC : J’ai pu lire que votre travail « aspire à une richesse déguisée en simplicité ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette philosophie ?
UW : Cela rejoint ma personnalité de créatrice : je n’aime pas appeler à toute force l’attention, je n’aime pas ce qui est tapageur, ni en ma personne ni dans mes créations… J’aime mieux y aller plus en douceur, être plus discrète, passer inaperçue pour certains. Mais avec les gens qui ouvrent leurs sens, leur attention, qui prennent le temps, il peut y avoir un échange profond, inspirant. C’est ça que j’appelle la richesse. Que mes créations ne soient pas de celles dont on se lasse rapidement, mais dans lesquelles on puisse encore découvrir des choses quelques mois ou même quelques années plus tard. Les voir d’un autre regard, ou apercevoir un petit détail qui nous avait échappé. C’est ça qui est la base pour moi. Ne pas tout donner au premier coup d’œil.
CC : Vous avez suivi une formation en design textile à l’Université d’art et de design « Burg Giebichenstein » de Halle, une ville de Saxe-Anhalt connue pour son héritage universitaire, industriel et culturel. Avec le recul, quels sont les meilleurs atouts que vous avez reçus lors de votre formation en Allemagne ?
UW : Je soulèverais deux aspects. D’une manière générale, Burg Giebichenstein est une université avec une assez longue histoire ; elle date de l’ère du Bauhaus et du Deutsche Werkbund — l’idée qu’un objet prend forme en conséquence de son utilité, de son sens, à quoi il va servir —, ce qu’on traduit souvent par cette phrase assez célèbre « form follows function ». Donc un objet n’a pas juste à être beau, parce que c’est très subjectif. La beauté résulte plutôt d’un ensemble : l’utilité, les matériaux qui aident à la fonctionnalité, le contact avec l’objet, tout est important. Et pour pouvoir travailler de cette façon, il est important de toucher aux matières, d’apprendre certaines techniques de transformation.
Le textile est en outre une des disciplines initiales de la formation de cette école. Dans l’histoire de l’humanité, le textile, avec la poterie, est une des techniques les plus ancestrales ; depuis que l’homme existe, il a commencé à se vêtir…
CC : C’est ce qui fait la noblesse de ce métier…
UW : Dans ce contexte plus global, pour l’ensemble de l’université, l’approche du design est beaucoup basée sur le travail en studio. Le but de la formation universitaire n’est pas de faire de nous de bons artisans ; je ne suis pas une tisserande, mais je connais toutes les techniques pour pouvoir communiquer… On a eu des ateliers très complexes et des équipements exceptionnels… J’ai pu travailler sur de vieux métiers Jacquard mécaniques, mais on avait aussi des métiers très modernes, de type industriel.
CC : Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif : travaillez-vous principalement dans votre studio… en solo ou en équipe ?
UW : Je travaille essentiellement de mon studio. Pour mes luminaires, je collabore avec une entreprise industrielle pour les bases. L’élan initial vient de moi et, avec leur savoir-faire, ils m’aident dans la réalisation. Parfois, il faut sortir de sa zone de confort pour aller plus loin.
Crédits :
Ute Wolff, sauf le campus de l’Université d’art et de design « Burg Giebichenstein » de Halle.