« Mémoire ensoleillée, la sculpture est mémoire ensoleillée. »
– Miguel Angel Asturias
Voilà comment Nils Orm donne vie à ses œuvres . Naissant de souvenirs ou de quelque croquis, une vision prend forme sous ses mains, en harmonie avec la nature du matériau choisi. « Le bois me »parle », il me donne des idées », confie-t-il. Influencé notamment par l’art plastique, il n’est pas étranger à l’art japonais du yose ue – une forme de bonsaï évoquant la forêt.
Artisans, artistes, entrepreneurs – certains combinent tous les talents. Ainsi, Nils surprend par sa polyvalence. Une personnalité curieuse, l’envie d’apprendre et des inspirations éclectiques font de ce sculpteur un créateur hors norme.
Établi dans un village des Préalpes, Nils Orm se distingue par un style à la fois singulier et universel – le langage expressif de l’art et le mystère de la création. Voyez ici ses sculptures sur bois, une matière qu’il qualifie de « noble »: à elles seules, elles créent une ambiance, ajoutant une dimension hautement esthétique au décor qui les accueillent.
Le parcours du sculpteur est intrigant. Mais il a cette simplicité qui, selon moi, caractérise les artistes authentiques. De recherches en réflexions, il s’approprie un savoir-faire ancien et développe un monde qui lui est propre. Puis, il nous invite à flâner dans son univers qui semble si paisible – les montagnes, l’escalade, la nature…
Loin des tendances et des galeries parisiennes, adepte d’une qualité de vie sereine, Nils Orm crée des œuvres d’expression oscillant entre artisanat et arts décoratifs – deux disciplines qui se nourrissent mutuellement, pour notre plus grand plaisir. Rencontre avec un personnage hors du commun.
– Corinne Cécilia
Corinne Cécilia: Pour les gens qui ne vous connaissent pas, qui est Nils Orm? Quand avez-vous commencé à faire de la sculpture sur bois? Et qu’est-ce qui a déclenché cette passion chez vous?
Nils Orm: C’est pour son charme et sa tranquillité que j’ai choisi de m’installer en plein cœur du massif de la Chartreuse (France). La maison dans laquelle je vis se situe dans un petit village et abrite mon atelier. C’est en partie dans cet espace que naissent mes sculptures contemporaines. Attiré depuis toujours par le bois, c’est sur cette matière noble que j’ai donc choisi de m’exprimer.
Si ma passion pour le bois et la sculpture est ancienne, je n’ai concrétisé mon projet que récemment, en 2019, dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Cela faisait, en effet, plusieurs années que l’idée me trottait dans la tête.
Mes premières créations remontent à plus de 25 ans, lorsque je fabriquais mes prises d’escalade en bois, en béton ou en pierre. C’était relativement moins couteux et plus rigolo que d’acheter des lots entiers pour équiper mon mur d’escalade. J’ai voulu un temps en faire mon métier mais ma créativité était limitée car les prises devaient rester ergonomiques pour être utilisées.
Il y a quinze ans, j’ai de nouveau renoué avec le bois en réalisant mon propre mobilier. Là-aussi, l’idée de me lancer dans l’ébénisterie a fait son chemin mais je cherchais encore ma voie… Le déclic est arrivé lors d’un voyage à Majorque en passant devant une galerie d’art: la sculpture s’est imposée comme une évidence.
Sitôt rentré en France , j’ai commencé à façonner le bois que j’avais en stock, mes premières sculptures ont vu le jour et depuis, j’enchaîne les créations les unes après les autres!
Œuvre par Nils Orm, « DANSE ORIENTALE ». Sculpture contemporaine en bois. Sapin.
CC: Où avez-vous étudié, ou bien appris votre métier d’artisan-artiste?
NO: Je pense que nous avons tous un don ou un talent caché que nous pouvons découvrir et développer, mais le plus difficile est parfois de l’identifier. C’est quand on le détecte que tout devient très facile et accessible. Autodidacte, je me suis beaucoup documenté sur les métiers du bois, sur les outils et sur les techniques: l’Internet permet d’accéder à de nombreuses ressources de qualité. Lectures, observations, expérimentations et ma passion pour le bois ont été pour moi la meilleure des formations. D’essais en essais et armé de patience et d’envie, on finit par travailler de façon instinctive. Mon atelier est aussi un laboratoire.
Œuvre par Nils Orm.
CC: Vous vivez dans la belle région de Savoie, et pratiquez l’escalade et le ski. Est-ce que les massifs montagneux vous inspirent particulièrement?
NO: Il est vrai que la région dans laquelle je vis est splendide. Originaire de la région parisienne, j’ai fui la cohue, la ville et tout le stress qu’elle véhicule. Me retrouver au cœur des montagnes m’apaise. Ce sont ces paysages et ces conditions qui me permettent d’être serein et qui libèrent en moi cette envie de créer. L’inspiration vient en fait de partout. Elle peut surgir d’un détail découvert sur une écorce d’arbre, de la texture ou la forme d’une pierre, d’un coquillage… J’ai la chance d’être très observateur.
Quand je me suis lancé dans la sculpture, j’avais peur de ne plus avoir d’idées, que l’inspiration s’essoufflerait. Mais c’est finalement l’inverse qui s’est produit, la pratique et cette sérénité me permettent de rebondir et, à partir d’une première idée, d’imaginer une autre forme, une autre sculpture; c’est sans fin.
Œuvre par Nils Orm, « CONVERSASION ». Sculpture contemporaine en bois sur socle. Sapin et mélèze.
CC: Les montagnes vous procurent-elles une sorte d’énergie créative?
NO: Pratiquer des activités en pleine nature est un besoin et si, par exemple, une sortie de ski de randonnée s’est déroulée à merveille au milieu d’un paysage idyllique, cela me booste , c’est presque incontrôlable. Je suis donc très souvent dans la réflexion créative et, même la nuit, les idées sont là, bien présentes, et n’attendent que de se concrétiser.
Produits: Œuvre par Nils Orm, « DUNE IV ». Sculpture contemporaine en bois pour décoration intérieure (disposition style yose ue). Frêne de provenance locale (Chartreuse).
CC: Y a-t-il un artiste, une école ou un mouvement artistique qui vous a touché ou inspiré dans votre vie?
NO: Le premier artiste qui m’a inspiré fut mon professeur d’art plastique lorsque j’étais collégien. Peintre aquarelliste lui-même, il cherchait à faire émerger l’esprit créatif de ses élèves. Son enseignement m’a fortement marqué et je pense souvent aux conseils qu’il me donnait lors de cours particuliers.
Œuvre par Nils Orm, « FISCH EYE » . Sculpture contemporaine en bois. Épicéa de provenance locale (Chartreuse).
NO: Deux cultures m’ont également beaucoup interpelées: la civilisation égyptienne et son art qui est, à mes yeux, le symbole de la finesse et de l’élégance. L’art précolombien lui, m’a plus intrigué dans sa rigueur géométrique et ses formes.
J’ai par ailleurs une grande affinité avec l’art nouveau: ses formes inspirées de la nature, ses courbes, ses volutes, sa vitalité et sa douceur.
Œuvre par Nils Orm, « CYPRAEA ». Sculpture contemporaine en bois murale bois et structure métallique. Hêtre échauffé de provenance locale (Chartreuse).
CC: Comment choisissez-vous un sujet sur lequel vous travaillez?
NO: Une quantité de projets sont figés sur le papier ou dans ma mémoire et il n’est pas évident de choisir lequel sera l’élu du moment. Je cherche donc ce qui pourra le plus me motiver pour réaliser la pièce le plus passionnément possible. Ensuite, les projets peuvent évoluer ou s’interrompre en fonction des pièces de bois que j’ai sous la main. Le bois me « parle », il me donne des idées. C’est une matière qui, selon les essences, possède des caractéristiques particulières et avec lesquelles je dois composer. J’attache aussi beaucoup d’importance à ne pas dénaturer la structure du bois, à garder ses spécificités, à exploiter ses « anomalies » de formation, ses nœuds. En travaillant avec cette philosophie, il m’arrive donc parfois de remettre une pièce de bois de côté et de la réserver pour un autre projet plus approprié.
Produits: Œuvre par Nils Orm, « ONDE ». Sculpture contemporaine en bois pour décoration intérieure. Sapin et mélèze de provenance locale (Maurienne)
CC: Vous avez exploré le dessin, la photographie, l’ébénisterie. En quoi la sculpture sur bois vous a-t-elle séduit davantage?
NO: En effet, si j’ai touché à beaucoup de domaines, le travail du bois est finalement celui qui aura motivé ma reconversion professionnelle. La réalisation de mobilier en bois m’a fait découvrir cette matière noble qu’est le bois. Son odeur, sa texture, son veinage m’ont complètement envouté. Il y avait comme une attirance, une évidence. Et avec du recul, si je n’ai pas persévéré dans l’ébénisterie, c’est que la sculpture me permettait d’être bien plus libre et beaucoup plus créatif. En fait, elle me permet d’être en phase avec moi-même. Sans renier mes autres passions, j’ai trouvé un compromis, un équilibre: je dessine mes sculptures et les prends en photo, la boucle est bouclée.
Produits: Œuvre par Nils Orm, « VARECH ». Sculpture contemporaine en bois pour décoration intérieure. Sapin de provenance locale (Chartreuse)
CC: Une technique que vous n’avez pas encore explorée et que vous aimeriez essayer?
NO: Il y en effectivement une technique que je souhaiterais explorer mais je ne m’y aventurerai pas tout seul. Il s’agit de la laque. Elle nécessite un long apprentissage et sa technique ne s’improvise pas. J’aimerais intégrer de façon ponctuelle cette finition dans certaines de mes sculptures. Avec la laque, je pourrais faire ressortir des couleurs incroyables et incruster toutes sortes de matériaux. C’est en admirant les œuvres de Remi Maillard que l’idée m’est venue. L’utilisation de la laque serait aussi pour moi l’occasion de renouer avec le dessin et la peinture.
Œuvre par Nils Orm, « VEGETAL II ». Sculpture contemporaine en bois sur socle (style yose ue). Dosse de hêtre de provenance locale (Chartreuse).
CC: La pandémie a affecté les relations avec le public dans quasiment tous les milieux professionnels. Qu’est-ce qui a le plus changé pour vous, ou pour votre entreprise artisanale?
NO: Je pense que ces événements nous auront permis de nous recentrer sur des valeurs essentielles, de prendre conscience que le monde d’aujourd’hui ne tourne plus rond et que nous devons nous interroger sur l’impact de nos propres actes: la surconsommation, l’achat court terme… Je vois aujourd’hui autour de moi un regain d’intérêt pour l’art, pour l’artisanat. Les gens n’achètent plus seulement un objet, ils achètent aussi un savoir-faire, de la qualité, du temps de travail. J’ai été particulièrement touché lors de mes derniers salons et expositions par les commentaires du public, la prise de conscience du travail qu’il y a derrière chaque sculpture. C’est encourageant.
Cette crise et les confinements auront aussi permis à certains de sauter le pas pour aller vers un métier d’art.
Œuvre par Nils Orm, « BÉNITIER GÉANT » . Sculpture contemporaine en bois sur socle. Sapin.
CC: Malgré les défis auxquels la pandémie nous a confrontés, quels aspects positifs voyez-vous au sortir de cette situation?
NO: Avec cette pandémie, il y aura forcément un avant et un après. Comme je le disais précédemment, le regard des gens a changé et j’ose espérer que cette prise de conscience va perdurer et se renforcer. En tant qu’artiste, cela nous oblige également à nous questionner, à nous interroger sur l’impact de notre travail, sur les enjeux écologiques de notre profession. Pour ma part, cela m’encourage à travailler avec des bois locaux, des traitements le plus naturel possible et à recycler des matériaux par exemple.
Auteur: Corinne Cécilia. Nous remercions Nils Orm pour ce généreux partage.
Photographe: Philippe Vautrin
Source: Nils Orm, nils-orm.com