Une des joies de notre métier, c’est de découvrir des créateurs de talent, puis d’explorer leur univers afin de le partager avec nos lecteurs. Je vous propose aujourd’hui de rencontrer Marie-Chloé Duval, une artiste visuelle au parcours atypique. En effet, c’est à l’issue de ses études supérieures en criminologie qu’elle a embrassé pleinement sa créativité pour se consacrer à la peinture. En quelques années seulement, la jeune femme a pris une belle envolée, développant un style original qui nous interpelle.
Car il me semble percevoir dans ses œuvres une danse subtile entre les émotions et la raison, entre l’expression spontanée et l’analyse posée. Une danse que toute personne qui cherche à s’exprimer par les arts reconnaîtra… Mais c’est aussi par son authenticité que Marie-Chloé sait nous émouvoir. Voyez son sourire radieux: ne nous invite-t-il pas à honorer nos passions? À ouvrir nos cœurs et à partager nos mondes intérieurs?
Dans cet entretien, l’artiste nous a confié son vécu et ses pensées avec une sincérité touchante. Établie dans la Belle Province , Marie-Chloé a déjà acquis une expérience et une reconnaissance internationales. France, Finlande, États-Unis – ce n’est, j’en suis certaine, que le début d’une belle et longue aventure. Souhaitons-lui toute la réussite dont elle rêve!
Et méditons ensemble sur cette pensée que l’on attribue à Johann Wolfgang von Goethe: « Le talent se développe dans la retraite; le caractère se forme dans le tumulte du monde ».
– Corinne Cécilia
Pour Marie-Chloé Duval, l’art est « une belle histoire d’amour »!
Corinne Cécilia: Marie-Chloé, pour les gens qui ne vous connaissent pas encore, quand avez-vous commencé à faire de la peinture?
Marie-Chloé Duval: C’était en 2014 durant les vacances de Noël, il faisait froid au Kamouraska et je suis allée dans la cave chez parents pour m’amuser avec les outils et la peinture. Certes, quelques années avant de toucher la peinture, j’avais ce désir qui m’habitait, celui de créer, mais c’est à ce n’est qu’à ce moment que j’ai concrétisé mon désir en action.
Jeune, j’avais toujours été très créative. Entre les bracelets de l’amitié et les agendas bien colorés, j’avais en moi une fibre créative. La vie, les études, les voyages, je ne prenais pas de temps pour la création sur toile, me disant toujours que je n’avais pas le temps. J’imagine qu’il n’y a rien comme des vacances d’école, du froid et le confort de la maison familiale pour laisser germer ce qui était latent et d’enfin faire du temps.
MCD: C’est donc en 2014, juste avant d’entamer ma maîtrise en criminologie, que j’ai touché à la peinture pour en devenir absolument passionnée.
Entre les articles scientifiques en criminologie à écrire pour mes études et le travail, je trouvais de plus en plus de temps pour peindre. En 2016, à la fin de mes études, j’ai pris la décision de repousser le début de mon doctorat afin de me consacrer à mon art, c’était il y a 6 ans déjà et le doctorat est devenu un projet de retraite!
Depuis ce temps, c’est une belle histoire d’amour qui se développe un peu plus chaque jour.
CC: Qu’est-ce qui a déclenché cette passion chez vous?
MCD: C’était en moi, j’ose croire. J’avais cette fibre créatrice latente. C’est un peu sur un coup de tête que j’ai débuté à peindre, simplement pour le plaisir. Je peins toujours pour le plaisir même si c’est mon métier depuis plusieurs années.
Quand j’ai touché au médium, c’est devenu une obsession. J’avais toutes ces images qui se propulsaient dans mon esprit et dont je sentais le besoin de les coucher sur toile. Avoir choisi de faire du temps pour cette passion a simplement laissé sortir ce qui était présent chez moi. J’aimerais l’expliquer avec plus de rationalité et faits, mais c’est dans un élan de spontanéité et d’écoute de mes envies que je suis devenue peintre.
On entend souvent parler des artistes qui peignent depuis leur jeune âge. Oh! comme j’aimais mes cours d’art, mais jamais je n’aurais cru en faire ma vie. Il m’aura fallu plus de maturité et de confiance en mon « gut feeling » pour devenir ou devrais-je dire accepter que je suis une artiste.
CC: Où avez-vous étudié et appris votre métier d’artiste?
MCD: J’ai étudié au Baccalauréat et à la maîtrise en criminologie à l’université de Montréal. J’ai débuté dans l’art de manière autodidacte et totalement naïve. C’est par beaucoup d’heures et d’effort que j’ai développé ma capacité à peindre. Je crois sincèrement que la création est assez intuitive et que la spontanéité mélangée au désir de toujours s’améliorer suffit à apprendre.
Étant toujours en quête de mieux comprendre ce qui m’entoure et avec une soif d’apprentissage, en 2020, j’ai décidé d’entamer mes études aux Beaux-Arts à l’université Concordia à Montréal. Ce retour à l’école me forme énormément en ce qui touche l’histoire de l’art, la réflexion sur le monde de l’art et sur les théories de l’art. J’apprends à mieux comprendre la portée de mes choix créatifs et leur force ou faiblesse.
CC: Vos études en criminologie ont-elles trouvé un écho dans votre travail artistique?
MCD: Très certainement, mes études précédentes jouent un rôle majeur. Au plan personnel, elles m’ont formé comme humaine. J’ai acquis une maturité et développé mon regard critique sur le monde.
Aujourd’hui je peins en m’inspirant de mon parcours et de mes études. J’ose croire que mon art me permet de mettre en lumière des sujets sociaux qui étaient au cœur de mes recherches académiques, mais de manière très intime, très proche des gens. C’est une des raisons pourquoi peindre et partager mon travail me semble aussi important. Je parle encore et toujours de l’humain et de la société, c’est seulement le conduit de diffusion qui a changé!
CC: Quel lien existe entre ces deux aspects de votre parcours?
MCD: Le désir de mettre de l’avant les sujets qui m’interpellent. Autant en criminologie qu’en art, j’ai un désir de partage très fort. Ouvrir le dialogue, enseigner, partager et réfléchir sur qui nous sommes et comment nous sommes en groupe. Je ne vois pas ces deux parties de mon parcours comme opposées mais plutôt comme des éléments très similaires. Dans les deux cas, je suis fascinée par l’humain, sa mise en lumière et la discussion sur des enjeux et sujets délicats.
CC: Vous avez eu la chance de participer à une résidence artistique en Finlande . Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette expérience?
MCD: En 2019, j’ai eu cette belle opportunité d’aller créer un mois à Joutsa en Finlande à la résidence artistique Haihatus. Les résidences artistiques sont très importantes dans mon parcours créatif. C’est un moment pour me poser sans aucune obligation externe venant affecter le temps en atelier.
Être artiste c’est aussi être entrepreneur et mener plusieurs projets sur ses épaules. En résidence, je laisse de côté les éléments plus administratifs ou sociaux de ma vie pour me concentrer sur ces moments de création sans artifice. Bien concentrée dans mon atelier je peux contempler, errer et jouer très librement et spontanément.
Lors de mon séjour, c’était l’hiver finlandais; dans la noirceur de janvier en Finlande, j’ai vraiment trouvé un rythme de vie posé et doux. Étant dans un village où peu de gens parlaient anglais, j’ai passé beaucoup de temps à me parler à moi-même, à être avec moi, ce qui m’apporte beaucoup d’inspiration. Ce temps de pause est un réel cadeau pour ma création.
CC: Y a-t-il un artiste, une école ou un mouvement artistique qui vous inspire plus particulièrement?
MCD: J’admire plusieurs mouvements artistiques et artistes, mais surtout ce qui est sous-jacent soit la prise de risque des artistes qui osent faire quelque chose de nouveau et d’osé. Si je devais choisir, je dirais le mouvement de l’expressionisme abstrait qui a émergé à New-York dans les années 1940. L’importance de la spontanéité, du mouvement et de l’émotion me rejoint beaucoup.
D’ailleurs, je me souviens très bien d’avoir eu la chance de visionner un documentaire sur Pollock dans mon cours d’arts plastiques au secondaire. Je ne connaissais rien aux mouvements ni à l’art en fait, mais j’avais été marqué par le travail de Pollock, certes dans son résultat, mais davantage dans son processus créatif. La liberté que j’y voyais m’avait vraiment touchée.
CC: Vous offrez des ateliers créatifs. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette activité pédagogique?
MCD: Je donne plusieurs ateliers, que ce soit au primaire, au secondaire ou avec des adultes. Le partage est sans doute la raison pourquoi j’aime tant donner des ateliers. J’avais comme premier plan de vie de devenir professeure à l’université, je ne sais pas exactement pourquoi mais j’ai toujours eu ce désir de tenter d’inspirer et d’être un petit élément qui aide les gens à devenir ce qu’ils rêvent de devenir.
Grâce à l’art j’ai la chance de le faire à travers des cours ou ateliers. Je mets beaucoup le concept que tout est possible si on travail fort et que la création est accessible à tous. Je ne crois pas que personne ne peut pas peindre ou dessiner. Certes, certaines personnes ont des talents plus naturels, mais l’art est un moyen d’expression qui fait du bien, le résultat ne devrait qu’être ce sentiment de bien-être, pas un chef-d’œuvre. Je mets beaucoup de l’avant le plaisir et le jeu. Avec quelques techniques de base pour permettre à la créativité de s’amuser, tout est possible!
[La photo de l’atelier date de 2019, avant la pandémie, NDLR]
Photographe: Guy Lavoie CS Kamouraska Rivière-du-Loup (école)
CC: Vous avez exploré la peinture acrylique, l’aérosol, le graphite et la photographie. Y a-t-il une technique que vous préférez?
MCD: Mon bébé, c’est la peinture – sa fluidité, sa versatilité, son odeur, j’aime tout! Je peux créer quelque chose qui n’existait pas avant et c’est vraiment un beau sentiment. J’aime travailler en mix-médiums faisant rencontrer les feutres, les photos, les mots sur un même morceau de toile.
Je ne me limite pas aux médiums non plus, je demeure très ouverte à ce que je croise dans mon atelier et qui m’inspire. Je me considère telle une artiste peintre, certes, mais parfois, c’est par la poésie ou la photo que je peux vraiment exprimer de manière optimale une image ou une réflexion qui m’habite.
CC: Y at-il une technique que vous n’avez pas encore explorée et que vous aimeriez essayer?
MCD: Lors de ma dernière résidence artistique cet automne aux Ateliers BSP, à Baie-St-Paul, j’ai découvert l’impression. Je suis devenue complètement obsédée. Ma professeure de peinture m’a dit que je faisais du print-making anarchique car cette pratique est très rigide et technique et que mon approche n’avait rien « dans les règles ». J’ai utilisé les outils d’impression pour imprimer ces morceaux de nature (branche, herbes, feuilles, roches, etc.) que je ramassais le matin lors de mes escapades au fleuve pour en faire une sorte d’impression sur papier et laisser parler leur forme et texture. Je compte continuer à explorer cette façon de créer.
MCD: Qui plus est, dans mes cours à Concordia, j’ai aussi eu le plaisir de toucher à la sculpture et l’installation. Cela me permet de complémenter mes œuvres peintes à un niveau plus physique. La sculpture et l’installation me permettent de mieux habiter un espace et de mettre en lumière une autre forme de dialogue. Je crois sincèrement que je n’ai pas assez d’une vie pour créer, il y a tant de possibilités. Je suis tout de même assez concentrée sur ma pratique en peinture car il y a tellement à dire à travers ce médium mais je demeure ouverte à la vie!
Auteur: Corinne Cécilia. Nous remercions Marie-Chloé Duval pour son généreux partage.
Photographe: Benjamin Bredmose (portrait de Marie-Chloé en noir et blanc)/Jon Rose (portrait de Marie-Chloé en couleur)