Déco colorée
Pleins feux sur un artiste : Les toiles surdimensionnées et colorées de Beth Letain
Publié le 2 Décembre 2021

Dans notre chronique, Dossier d’artiste, la conseillère en arts Diana Hamm de WK ART nous présente des artistes qui ont attiré son attention.
L’artiste : Les grandes toiles saisissantes de Beth Letain mettent l’accent sur la forme et la couleur, dans un style minimaliste. L’artiste, née à Edmonton et basée à Berlin, est influencée par d’autres artistes minimalistes, comme Agnes Martin et Mary Heilmann. Même si l’on devine ces références dans le travail de Beth, ses toiles se démarquent par ses coups de pinceau et ses couleurs. Elle commence toujours par dessiner et travailler à très petite échelle (trois pouces par cinq pouces). Ces petites pièces sont ensuite transformées en grands formats – généralement de six à onze pieds de hauteur, et peintes à l’huile.
Les lignes de son œuvre sont simples, épurées, dans des couleurs saturées qui créent une tension agréable au regard grâce à son usage de la peinture à l’huile et à la taille formidable de ses pièces. On ressent une impression d’attraction-répulsion entre la simplicité du sujet et l’exigence physique que suppose la réalisation de telles œuvres.
L’œuvre : La toile est l’un des éléments de départ les plus importants pour Beth. Elle n’achète pas de toiles déjà préparées et se charge elle-même de ce processus, qui consiste à appliquer des couches de gesso fait maison et qui peut prendre de deux à trois jours. Cela lui permet de créer une texture et d’obtenir le blanc qu’elle souhaite. Dans ses œuvres, certaines sections sont parfois laissées en blanc, et la base de gesso établit un contraste entre le blanc de l’apprêt et la peinture à l’huile aux couleurs saturées, pour créer un élément d’attraction en soi.

L’artiste Beth Letain devant sa toile Dandelion(2017). Beth a reçu son baccalauréat en beaux-arts du Nova Scotia College of Art and Design à Halifax, et sa maîtrise en peinture à la State University of New York du Purchase College, à New York.
Elle est représentée par l’agence Peres Projects à Berlin et a été exposée partout en Europe. Ses peintures se vendent autour de 25 000 $ et elle prépare une exposition à la galerie Leeahn de Séoul, en Corée du Sud, en 2022.

Dans Dayfall, par exemple, toute la toile est peinte d’un superbe violet, à l’exception d’une section au bas de la toile, laissée intacte. De prime abord, on ne s’en aperçoit pas, mais elle force le regard à voir ce violet différemment car, soudainement, le contraste devient évident. J’aime le fait que l’on voie clairement les coups de pinceau de Beth. Ils me rappellent les dessins d’enfants, qui couvrent toute une page de couleur, et où l’on peut voir chaque trait individuel.
Je crois qu’il y a un effet intéressant ici, puisque Beth commence par le dessin. Son choix d’utiliser la peinture à l’huile contribue cependant à relever le niveau de son travail et le fait entrer dans l’univers de la peinture adulte et formelle. « Il y a quelque chose à propos de la qualité de la couleur et de la densité de la peinture que je trouve très satisfaisant, explique Beth. J’aime aussi le fait que ces œuvres semblent avoir été réalisées « rapidement », alors qu’elles reposent en fait sur des matériaux qui exigent un traitement « lent ». »

Dans d’autres pièces, Beth crée des formes beaucoup plus définies. Dans Antidote, par exemple, la répétition des carrés joue sur l’effet d’une forme géométrique simple dans un schéma de couleur simple. Le rouge tomate des carrés est le premier élément qui attire notre attention : on peut comprendre et apprécier cette œuvre au premier coup d’œil. Mais en y regardant de plus près, on constate que la peinture semble se déployer, un peu à la façon d’une histoire.
Chaque carré est en effet de taille différente, ce qui apporte un rythme lyrique à cette pièce. Les carrés du haut sont plus petits et plus rapprochés, suivis de carrés plus grands, et enfin, de carrés encore une fois plus petits dans la partie inférieure. À certains endroits, la couche de peinture est mince, alors qu’ailleurs, elle forme des pâtés satisfaisants au regard. Ces subtilités étoffent la toile, et donnent lieu à une composition qui ne traduit pas une forme parfaite et qui rend ainsi l’intervention manuelle de l’artiste entièrement visible.

Je crois que la taille de ces œuvres est également un élément essentiel à leur compréhension. Dans l’une de ses dernières expositions, la plus petite peinture mesurait six pieds de hauteur, alors que la plus grande en faisait plus de onze. La taille formidable de ces toiles donne aux couleurs une véritable personnalité – vous êtes physiquement confronté à cette réalité lorsque vous voyez les œuvres en vrai. « La peinture est certainement un acte physique pour moi et ce format titanesque semble m’avoir été inspiré par ma propre taille », explique Beth.
« La longueur réelle de mon bras et sa portée sont des éléments intrinsèques de mon travail. J’aime ces œuvres grand format qui remplissent votre regard au fur et à mesure que vous vous en approchez et qui vous offrent une nouvelle façon de regarder cette relation simple entre les formes. » C’est ce qui rend son travail si invitant pour moi – la relation entre la simplicité visuelle et le processus physique et exigeant a été intégrée avec soin à la réalisation de ces œuvres, ce qui leur donne du souffle et de la puissance.