Décoration et design
La lettre d’amour d’Emma Reddington à sa maison victorienne de Toronto
Publié le 5 octobre 2021
Emma Reddington nous explique comment sa maison victorienne a influé sur la dernière décennie de sa vie et pourquoi elle décide de retourner en C.-B.
Il y a dix-sept ans, dans un condo surplombant le pont de la rue Granville de Vancouver, je me suis installée à la table de la salle à manger et j’ai appris à dessiner. Le portefeuille que je devais fournir pour le programme de design intérieur à l’Université Ryerson à Toronto devait contenir 10 à 15 esquisses, et je n’en avais aucune. Le matin, avant d’aller travailler comme chef au Provence Marinaside à Yaletown, je parcourais chaque page de Drawing on the Right Side of the Brain par Betty Edwards et j’apprenais à voir le monde différemment. Mon ami de l’époque, qui est maintenant mon mari, Myles McCutcheon, prenait la pose patiemment pendant que je recommençais maintes fois le même dessin… pour un résultat moyen – je n’ai jamais excellé en dessin – mais je vois maintenant ce geste comme la première perle d’un collier de défis qui m’ont amenée jusqu’ici, en train d’écrire une histoire sur une maison qui a changé ma vie.
Entre ces murs, j’ai passé quatre périodes de confinement obligé (mais ô combien productives). Les deux premières sont survenues lorsque mes enfants sont nés et que je devais rester à la maison pour m’en occuper, la troisième, pendant que j’écrivais mon livre, Nomad : Designing a Home for Escape and Adventure, et la dernière remonte à l’année 2020, où nous étions tous confinés à la maison. Chaque fois, ma maison me procurait non seulement un précieux confort, mais aussi l’impulsion pour apporter de grands changements dans ma vie.
Lorsque mon fils, Henry, est né, en 2008, un an après l’obtention de mon diplôme en design intérieur, j’ai lancé le blogue The Marion House Book pour documenter la rénovation de notre maison victorienne. Avec ses plafonds de 10 pi à l’étage principal, ses portes à panneaux de bois plein et leurs serrures d’origine, un bain sur pied en fonte et deux superbes foyers, elle avait tout ce qu’il fallait pour en tirer des photographiques spectaculaires.
Mon style de décoration éclectique, mi-côte Ouest, mi-ethnique, avec une bonne dose de vintage, convenait parfaitement à la maison, qui servait de toile vierge me permettant de mettre mes créations à l’essai. J’ai appris à photographier les pièces avec un photographe professionnel, à composer des vignettes stylées et à rédiger des textes d’accompagnement.
À la fin de mon congé de maternité, je suis revenue à mon poste de conceptrice d’exposition au Musée des beaux-arts de l’Ontario (j’avais commencé à y travailler dans ma dernière année de formation en design). J’y ai appris à raconter l’histoire d’un artiste en disposant les objets d’une exposition et en étudiant les effets de la couleur sur l’ambiance d’un espace – des compétences auxquelles je n’attribuais pas énormément d’importance à l’époque, mais qui ont forcément influencé mon propre style de décoration. Je ne pense pas que j’aurais peint ma salle à manger d’un gris profond si je n’avais pas auparavant découvert l’effet enveloppant et douillet des couleurs sombres.
Lorsque ma fille, Orla, est née en 2012, et que je me suis de nouveau retrouvée à la maison, mon blogue commençait à être remarqué par certaines personnes dans l’industrie de l’édition et je travaillais comme styliste pour divers médias, utilisant souvent ma propre maison comme décor. J’ai poursuivi l’expérience et le fait de voir ma maison par les yeux de photographes et de directeurs artistiques s’est révélé réellement inspirant. Ensemble, nous avons déplacé des meubles, installé des œuvres d’art et composé une tonne de faux décors de Noël! Parfois, on achetait un meuble ou un tapis pour une photo, que je finissais par garder… cela explique sans doute l’effet de superposition que l’on retrouve dans la maison. Ce n’est pas une maison dont la décoration a été soigneusement planifiée, mais elle traduit plutôt une lente accumulation de pièces et d’objets au fil du temps. En fait, tous ces petits métiers parallèles m’ont menée à mon premier emploi pour un magazine, mon emploi de rêve, et à mon poste de rédactrice en chef de House & Home.
Au début de 2019, comme l’échéance de mon livre approchait, je n’ai eu d’autre choix que de m’enfermer dans ma chambre et d’écrire chaque jour pendant trois mois. J’avais même déterminé le nombre de chapitres que je devais rédiger chaque jour et je me suis mise au boulot. Devant la fenêtre de ma chambre, à un petit bureau de bois, je regardais le soleil suivre son cours, de l’est vers l’ouest, ouvrant et fermant les rideaux pour me préserver de son éclat. Cette fois, la maison restait discrète, reléguée au second plan, alors que j’écrivais sur des gens qui voyageaient à bord de leurs roulottes, caravanes WV, bateaux à voile et autobus scolaires recyclés.
Depuis la dernière année, la maison est devenue le cinquième membre de la famille. Nous n’en étions jamais bien loin. Ce mariage forcé, 24/7, nous a fait voir les avantages de vivre dans une maison urbaine datant de 1905 (grande cour arrière, trois étages), mais également ses limites (une salle de bain, empreinte modeste). Comme les enfants grandissent et prennent de plus en plus de place, Myles et moi avons convenu qu’il était temps de changer. Nous devions choisir entre rester et rénover, trouver une nouvelle maison à Toronto ou devancer notre objectif qui était de retourner vivre en C.-B. En établissant la liste des avantages et inconvénients de chaque scénario, le gagnant nous est clairement apparu : la côte Ouest nous appelait. Difficile de faire concurrence à tous ses points forts : famille, amis proches, ski de qualité, sentiers interminables et océan Pacifique!
Pour boucler la boucle, et pour une dernière fois, je prends des photographies de la maison et j’écris à son sujet. Cette maison a été bien plus qu’un endroit où me poser et élever une famille. À chaque étape, elle a été ma source d’inspiration. De telles maisons sont difficiles à trouver dans une ville comme Vancouver, où la plupart des maisons ont été construites au cours des 50 dernières années. Je troque des murs de plâtre, des radiateurs de fonte, des fenêtres à vitraux et des voisins de part et d’autre pour des plafonds de cèdre, des plinthes chauffantes, des murs de gypse et de grands pins Douglas. Ce n’est pas un mauvais échange, c’est simplement différent.
En fait, j’ai hâte de ressortir mes carnets à dessin, d’essayer un nouveau style de décoration et d’imaginer une nouvelle vie pour notre famille. Mais une partie de mon cœur restera toujours attachée à cette maison de Toronto qui a changé ma vie, doucement et graduellement.
Déroulez vers le bas pour visiter la charmante maison victorienne d’Emma!
Stacey Brandford
House & Home septembre 2021
Emma Reddington